Une définition d’une situation-/ ou tâche-problème
Une situation-/ ou tâche-problème doit permettre l'installation et la maîtrise de
compétences. Pour qu'elle remplisse cette fonction, il faut qu'elle réponde à
trois critères de qualité :
elle s’efforce de prendre en compte les motivations de l'élève et
propose donc de résoudre un problème proche de ses pratiques
sociales de référence 22. Elle s'inscrit dans un projet réellement
significatif pour l'élève (et pour sa classe) 23, lequel projet suscite son
envie et le rend réellement actif;
elle installe une compétence nouvelle perçue par l'élève comme
telle; c'est ainsi qu'en s'efforçant de l'acquérir, il prendra conscience
de la nécessité de s'approprier des savoirs et des savoir-faire
nouveaux; ces derniers lui apparaîtront comme des outils
indispensables à la réalisation de la tâche ;
même si elle est liée à un projet spécifique, la tâche n'en est pas
indissociable. Elle peut se travailler à divers moments des cycles ou
degrés à des niveaux de performance différents, dans le cadre de
projets eux aussi différents. Les savoirs et savoir-faire nouveaux
ainsi que les compétences que l'élève acquiert grâce à la tâche et en
vue de sa réalisation ne sont pas eux non plus indissociables de
cette tâche (bien qu'ils y soient liés de façon circonstancielle). Au
contraire, ils peuvent être mobilisés, totalement ou partiellement,
pour en effectuer d'autres, analogues ou apparentées, ou encore
pour effectuer une tâche identique, mais à un niveau de performance
supérieur. Le fait que les tâches puissent être détachées des projets,
le fait que les savoirs et les savoir-faire puissent être exportés pour
réaliser d'autres tâches facilitent un enseignement en spirale,
conformément aux prescrits du Décret "missions" 24.
La problématique des compétences est particulièrement liée au dernier point de
cette définition. « En effet, il est relativement aisé de faire acquérir par des
élèves une procédure (un savoir-faire) stéréotypée qu’ils ont à exécuter en
réponse à une consigne. Mais ce qu’on appelle ordinairement une compétence
est plus complexe et plus exigeant que ce seul processus. On parle de
compétence lorsqu’un sujet, confronté à une situation nouvelle, choisit luimême,
parmi les procédures qu’il possède, celles qui conviennent à la
situation.
Un des éléments essentiels d’une véritable compétence est donc la capacité
d’adaptation à une situation singulière. (…) Pour améliorer l’efficacité
22 On entend par là les pratiques qui ont cours hors de l'école. Cette dernière empêche souvent une congruence
parfaite entre motivations et objectifs d'apprentissage. Elle ne peut également proposer pour modèles toutes les
pratiques sociales : chacun sait, par exemple, qu'il est des manières de communiquer familières réprouvées en
classe. Toutefois, cela n'enlève en rien l'exigence de privilégier des situations significatives pour l'élève. Cela
oblige en revanche de lui rappeler sans cesse l'importance sociale des modèles proposés par l'école.
23 La pédagogie du projet (interdisciplinaire ou non) conserve toute son importance dans l'école d'aujourd'hui.
24 Socles de compétences, page 10.
Fondements d’une didactique des compétences
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pédagogique, Meirieu et Develay (1992) 25 avaient proposé, il y a quelques
années, que les enseignants, dès qu’ils entraînent leurs élèves à une
procédure, leur fasse découvrir en même temps une « famille de situations » à
laquelle cette procédure convient. Or, une telle démarche didactique, pour
intéressante qu’elle soit, est cependant insuffisante. (En effet,) même si un
élève connaît bien la famille de situations correspondant à une procédure, il
peut ne pas percevoir dans une situation nouvelle et relativement complexe, les
traits qui en font un cas relevant de cette famille. » 26
Cette nécessité de placer les élèves dans des situations complexes
authentiques, cette recherche d’une plus grande validité écologique, c’est-àdire
« d’un rapprochement, pour l’apprentissage comme pour l’évaluation, des
conditions dans lesquelles la compétence devra effectivement être exploitée en
dehors de l’école » 27 aboutit souvent à mettre l’élève dans des situations
entièrement nouvelles pour lesquelles il ne possède pas toujours la base de
connaissances spécifiques.
Il convient donc que la « mise en situation intégrée (ait été) proposée en cours
d’apprentissage et accompagnée d’évaluation formative 28 : ce n’est pas au
moment de l’évaluation certificative que les élèves doivent être confrontés pour
la première fois à une performance complexe, leur demandant d'intégrer, au
service de la résolution d'une tâche-problème nouvelle, des connaissances
acquises isolément par ailleurs. » 29
Il importe donc que l’élève qui s’est approprié des connaissances dans un
certain contexte d’apprentissage puisse être amené par l’enseignant à isoler
ces connaissances, puis à les structurer et à les utiliser dans des contextes
analogues qui en souligneront l’utilité. C’est là poser la question du transfert ou
de l’intégration des connaissances dans une situation analogue ou nouvelle,
mais qui réclame pour se résoudre les connaissances référencées par ailleurs.
La problématique du transfert ou de l’intégration suscite toujours de
nombreuses interrogations sur l’aptitude à opérationnaliser ses connaissances,
ses procédures.
A ce propos, Dumortier 30 insiste, comme beaucoup d’autres didacticiens, sur
l’impossibilité qu’il y a de garantir que les élèves, même s’ils s’approprient
effectivement des connaissances, les mobiliseront dans des tâches analogues.
Il convient dès lors de multiplier les allers et retours entre travail de la tâche et
apprentissage des acquis nécessaires à sa réalisation.
Vergnaud 31 confirme ainsi que la forme opératoire de la pensée est de loin
plus tangible que sa forme prédicative : agir et résoudre ne suppose pas
nécessairement que l’on sache énoncer le processus sur lequel on a fondé son
25 Ph. Meireieu et M. Develay, Emile, reviens vite… Ils sont devenus fous, Paris, ESF.
26 Compte rendu des séminaires relatifs à la construction des savoirs et à l’approche pédagogique par les
compétences, Atelier 2, Communauté française, Formation en cours de carrière des chefs d’établissement.
27 J. Beckers, Les compétences terminales et leur évaluation : quelques pistes de réflexion, in Bulletin du CIFEN,
Ulg, n° 8, juin 2000, page 3.
28 Voir ci-dessous le point consacré à l’évaluation des compétences.
29 J. Beckers, ibidem, page 5.
30 J.-L. Dumortier, Evaluation des compétences et pédagogie par tâches - Le cas du cours de français, langue
première, in Bulletin n° 8 du CIFEN, Ulg, juin 2000, page 12.
31 G. Vergnaud, Directeur du C.N.R.S., Intervention au Colloque du Cifen, Ulg, 24.08.01.
Fondements d’une didactique des compétences
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action. La formulation de l’action échappe souvent à celui qui la réalise, même
lorsqu’il la réussit brillamment. Les exemples ne manquent pas pour établir la
faiblesse de l’énoncé métacognitif. Rares sont les élèves, même parmi les plus
efficaces, qui savent répondre à la question : « Pourquoi as-tu fait telle ou telle
opération ? Pourquoi as-tu commencé ou fini ta démonstration de telle ou telle
manière ? » La métacognition 32 est d’autant plus faible que le processus
demandé mettait en oeuvre, de manière originale, plusieurs processus connus
par ailleurs, mais qui n’avaient jamais été réunis de telle manière pour résoudre
tel problème.
Il devient donc prioritaire de permettre à l’enfant de s’interroger sur ses
processus opératoires, de l’aider à les identifier afin de pouvoir le rendre plus
efficace à l’avenir et enlever à ses découvertes tout aspect aléatoire.
Il importe aussi de multiplier les tâches analogues à celle qu’il vient de résoudre
afin d’enrichir les processus opératoires et leur clarification dans l’esprit de celui
qui agit.
Ce processus permanent de contextualisation 33 et de décontextualisation 34
garantiront à l’élève de maîtriser des connaissances (appropriation lucide de
savoirs et de savoir-faire) qui pourront valoir en dehors de la résolution de telle
ou telle tâche et qui pourront s’appliquer à l’ensemble des tâches analogues ou
similaires auxquelles il devra faire face.35
Un